Les risques invisibles du quotidien.
Analyse des cas fréquents de dangerosité en milieu professionne
L’ouverture ou le déchargement d’un conteneur maritime est souvent perçu comme une opération banale, mais de nombreuses études et incidents montrent que c’est aussi un moment à haut risque chimique. Ces structures métalliques, hermétiques par nature, peuvent concentrer des gaz toxiques ou des composés organiques volatils (COV) issus soit de fumigations destinées à protéger les cargaisons, soit d’émissions naturelles (« off-gassing ») des marchandises transportées. Les fumigants les plus fréquemment rencontrés sont la phosphine, le bromure de méthyle et la chloropicrine, tandis que les COV proviennent souvent de matériaux comme le bois traité, les colles, les textiles ou les plastiques, libérant du formaldéhyde, du toluène ou du styrène (INRS, 2018 ; Svedberg et al., Annals of Work Exposure and Health, 2018).
Des mesures réalisées sur des centaines de conteneurs dans des ports et centres logistiques européens et australiens ont montré que la majorité contenait des traces détectables de polluants volatils, parfois à des niveaux supérieurs aux valeurs limites d’exposition professionnelle (Svedberg et al., 2018 ; Schinkel et al., 2014). Ce constat inclut même des conteneurs non fumigés, dans lesquels les produits transportés avaient relâché des substances chimiques en quantité suffisante pour présenter un risque (Schinkel et al., Occupational and Environmental Medicine, 2014).
Plusieurs cas d’intoxications aiguës sont documentés dans la littérature médicale et par les centres antipoison. En France et en Belgique, des manutentionnaires ont été hospitalisés après avoir inhalé de la phosphine lors du dépotage de conteneurs dont la fumigation n’était pas signalée. Les symptômes allaient de simples nausées à des troubles neurologiques sévères (Beswic, 2019 ; INRS, fiche toxicovigilance 2016). Un témoignage d’opérateur recueilli dans un rapport français illustre ce risque : « J’ai ventilé mon conteneur, je peux décharger en toute sécurité », raconte-t-il, avant que plusieurs intérimaires ne présentent irritations oculaires, vertiges et maux de tête. L’analyse de l’air a révélé la présence combinée de phosphine, de chloropicrine et de styrène (INRS, 2018).
Le caractère invisible de ce danger tient à plusieurs facteurs. D’abord, les conteneurs n’affichent pas toujours d’étiquetage clair sur les fumigations effectuées ou sur les risques de dégagement de COV (INRS, 2018). Ensuite, les gaz se répartissent de façon inégale : l’air au fond du conteneur, ou piégé entre des palettes, peut rester chargé pendant des jours, et l’ouverture des portes crée parfois un déplacement brutal d’air contaminé vers l’opérateur (Svedberg et al., 2018). Enfin, la composition chimique varie fortement selon la nature des marchandises, la température et l’humidité, rendant le risque difficile à anticiper (Schinkel et al., 2014).
Les conséquences peuvent aussi être massives, comme l’a montré l’accident d’Aqaba en Jordanie, le 27 juin 2022. Lors d’un chargement, une citerne contenant du chlore est tombée et s’est rompue, libérant un nuage toxique qui a causé au moins 13 morts et plus de 260 blessés en quelques minutes (Wikipedia, « Fuite de gaz toxique d’Aqaba », 2022). Bien que cette catastrophe n’ait pas concerné un conteneur standard, elle illustre la vitesse et la gravité avec lesquelles un gaz toxique peut se propager dans un environnement portuaire.
Pour réduire ces risques, les études recommandent une combinaison de mesures. La première étape consiste à tester l’air à distance avant toute entrée, à l’aide de détecteurs multi-gaz, de tubes colorimétriques ou d’appareils PID pour mesurer les COV (INRS, 2018 ; Previsoft, 2021). La ventilation mécanique forcée est essentielle : elle permet d’évacuer l’air vicié jusqu’au fond du conteneur, là où la ventilation passive — se contenter d’ouvrir les portes — est inefficace (Svedberg et al., 2018). Lorsque des concentrations dangereuses sont détectées, le port d’équipements de protection respiratoire adaptés est indispensable : masques complets à cartouches multi-gaz ou appareils respiratoires isolants (INRS, 2018).
Au-delà de la technique, la prévention repose sur l’information et la formation. Les opérateurs doivent connaître les risques, savoir reconnaître les symptômes d’une intoxication et appliquer des protocoles stricts : interdiction d’accès à un conteneur non testé, ventilation systématique, port d’EPI et signalement immédiat de tout incident. Les entreprises ont la responsabilité d’obtenir et de transmettre les documents de fumigation, de tracer les résultats de mesures et de collaborer avec les centres antipoison pour la prise en charge des expositions (INRS, 2018 ; Beswic, 2019).
En résumé, ouvrir un conteneur n’est jamais un geste anodin. Les gaz toxiques et COV qu’il peut renfermer constituent un danger souvent invisible mais bien réel. Les témoignages de terrain, les cas médicaux et les études de mesure concordent : seule une démarche systématique de détection, ventilation, protection et formation permet de sécuriser cette opération quotidienne mais potentiellement mortelle.